Serigne Saliou Mbacke

lundi 29 décembre 2008 Source sud quotidien

Une ère se ferme une autre s’ouvre. La première inexorablement verrouillée par le rappel à Dieu de l’homme en Dieu, le vénéré Serigne Saliou Mbacké, dernier fils de Cheikhoul Khadim sur terre et non le fils cadet qu’était Serigne Mourtada Mbacké.

La deuxième n’étant que la conséquence logique de la première, propulsant ainsi les petits fils à l’avant-garde, qui reprennent l’étendard de l’Islam des illustres mains de leurs pères dont 5 seulement se sont succédés au khalifat en 80ans depuis 1927, date du rappel à Dieu de cette grande figure de l’humanité, Cheikh Ahmadou Bamba. Ainsi la marche vers le paradis continue-t-elle son petit bonhomme de chemin avec ses étapes exigibles de changement de serviteurs si tant est que la dévolution de la mission demeure assujettie à l’espace et au temps mais toujours sous la direction éclairée et l’impulsion dynamique d’un plénipotentiaire. On comprend aisément la grande tristesse, l’émotion, le sens dessus dessous voire chaotique que le départ du dernier fils aura occasionné. Facilement assimilé et assimilable à l’apocalypse ! Son départ a créé le vide autour des enfants-talibés de Khelkom, Got, Ndoka, Ndiapndal ect , temples du Savoir où la prise en charge était gratuite, alternative crédible contre la mendicité qui les exposeraient . La relation qu’il a tissée avec ces disciples était manifestement légendaire. Dans ses daaras , la maîtrise du Saint Coran et des sciences religieuses ne nécessitaient guère le châtiment corporel.

Serigne Saliou interdisait d’user de la violence histoire d’atteindre ses objectifs. Il disait aux maîtres coraniques qu’il avait recrutés que « enseigner le Coran est un acte de Djihad et quiconque châtie l’enfant, en a démissionné ». Exercice difficile mais réussi chez lui ! Après la formation, le Saint homme facilitait l’insertion des disciples à l’école pour la vie en offrant gracieusement des parcelles, des maisons, de l’argent comptant, et parfois des femmes en mariage. Il avait assigné à l’éducation une maximisation des qualités par rapport aux défauts, un moyen de prise en compte des exigences sociales. En posant de tels actes, empreints de générosité et d’altruisme, Serigne Saliou enseignait-il à la jeunesse, à la classe politique, aux dirigeants étatiques que c’est seulement après avoir fait don de soi aux hommes, par la transformation de son être de l’état égoïste à l’état social, qu’on aura été un vrai musulman, un soumis à Dieu. Il avait compris que c’est de cette façon seule qu’on peut espérer enjamber le pont de l’avenir avec un visage radieux. Décidément il portait bien son nom ‘Salih’ ; homme de bien.

Le vide se sent aussi autour de tous les Sénégalais qui lui ont rendu un hommage vibrant, à l’aune de ce qu’il représentait pour Dieu sur terre. Pour eux le vocable « Serigne Saliou » charrie sur lui les valeurs cardinales du soufisme dont il était pétri. Serigne Saliou c’était aussi le symbole de ce que doit être « un abandon confiant en Dieu » à travers un silence tellement éloquent. Son départ rappelle à bien des égards celui de Serigne Touba en 1927 alors que le mouridisme n’en était qu’à ses premières enjambées.

1927(date du rappel à Dieu de Serigne Touba), 2007 (date du rappel à Dieu de Serigne Saliou), la résonance est assez symbolique.
remarquons que 80ans après son voyage sans retour, l’héritage du fondateur du mouridisme s’est perpétué à travers ses propres fils. De Serigne Mouhamadou Moustapha à Serigne Saliou en passant par Serigne Fallou, Serigne Abdoul Ahad et Serigne Abdoul Khadre, chacun de ces khalifes a poinçonné d’empreintes indélébiles la marche de l’Islam ici et ailleurs.
Le derniers fils dont nous sommes les heureux contemporains, était sans nul doute Khadimou Rassoul en chair et en os. Ayant fait l’unanimité autour de ses actes et de ses paroles, il a su rallier tout le peuple Sénégalais à la cause de l’Islam telle qu’enseignée par son Illustre père Cheikh Ahmadou Bamba. On dira de lui qu’il forçat la sympathie et le respect de toutes les sensibilités religieuses, politiques et sociales de ce pays. On retiendra surtout de son khalifat que le spirituel qu’il incarnait dont on prêche dans la République sa séparation distincte avec le temporel avait fini par éclipser ce dernier à travers sa première institution, réduite à ses pieds. « président-talibé, talibé-président, République à terre, dérives Républicaines, l’Etat à genoux …. », il faut dire que les analystes y sont allés de leur propre compréhension tant la relation entre le président de la République et son guide spirituel était des plus insaisissables par la raison. Ceux ou celles qui ont essayé de l’appréhender par la raison, y voyant une relation anormale, un pacte politique, nous ont hélas laissé sur notre faim.

Je rappelle à ces derniers cette citation de PASCAL selon laquelle « la dernière démarche de la raison c’est de savoir qu’il y’a une infinité de choses qui la surpassent, si les choses naturelles la surpassent que dira-t-on alors des choses surnaturels ? ».

L’on ne saurait donc appréhender l’attitude d’Abdoulaye Wade quand creusant dans les profondeurs abyssales de la foi. Une foi que KANT avait érigée en ultime recours dans son ‘nouménal’ quand il fut contraint de reconnaître les limites de la raison, constatant qu’elle tombe dans des antinomies, des propos contradictoires. « J’ai dû abolir pour établir la foi » disait-il.

S’y ajoute le personnage énigmatique que Serigne Saliou lui-même symbolisait au delà de toute extrapolation. Qui pouvait résister devant son altruisme ineffable, sa grandeur d’âme, sa générosité, sa sobriété, son humilité par-dessus tout mais aussi et surtout son rejet de ce bas-monde.

Le flux et reflux de la mémoire nous plongent dans l’univers colonial où son père vécut une vie ponctuée par l’exil au Gabon (1895-1902), la déportation en Mauritanie (1903-1907), résidence surveillée à Théyène (1907-1912) et enfin la dernière résidence surveillée à Diourbel (1912-1927). Comparaison est raison ici, on dira de Serigne SALIOU ce que ce commandant de cercle de Diourbel, dit de Serigne Touba dans un témoignage« La soumission des hommes envers lui les rend inconditionnels… je sais que les prophètes et les saints qui ont menés une guerre sainte l’ont fait sans disposer de la moitié de force dont dispose ce Cheikh ».

Les approches de ses prédécesseurs n’ont jamais été les mêmes ainsi que les contextes quoique les stratégies mises en œuvre s’articulent autour d’une seule et Unique constante : « Ligeuy ak diamou Yalla ». N’est-ce pas la meilleure articulation susceptible de réconcilier la vie Ici-bas et la finalité de l’Au-delà ? L’exemple de Serigne Saliou est fort à méditer par le peuple pour une moralisation de nos actes et de nos paroles en ces moments de crise où tout semble permis. En tout Etat de cause, servir et non se servir du peuple dans la crainte révérencielle en Allah restera à jamais l’ultime leçon qu’on peut tirer de la vie du Saint Homme de Touba.

Puisse Allah accorder au premier petit-fils khalife, Serigne Mouhamadoul Amine Bara, longue vie et santé de fer. Amine !!!

Ahmadou Touba Niane
Elève-commissaire aux enquêtes économiques à l’Ecole Nationale d’Administration
Email :ahnianetouba@yahoo.fr