TOUBA NE S’INSCRIT PAS DANS LA SURENCHERE POLITIQUE

Text repris du site majalis.org
[Par un Collectif d'Intellectuels Mourides]


Suite au discours du Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur Monsieur Bécaye Diop à la cérémonie officielle du Magal de Touba, certaines personnes ont manifesté leur indignation dans la presse sénégalaise. Depuis lors, l’on ne cesse d’enregistrer des réactions pour ne pas dire des dérives politiques tendent de plus en plus en plus à épingler la communauté mouride dans ses acquis historiques, spirituels et sociaux. Même si cette attitude est compréhensible et même attendue, les propos incriminés qui n’engagent que son auteur ne devraient être interprétés hors de leur contexte.

Si les propos en question n’ont été tenus que par pure propagande politique pour convoiter l'électorat de la communauté mouride, il n’est point nécessaire de s’en offusquer car, probablement dans d’autres circonstances similaires, son auteur l’adapterait à son discours ; car ni Touba, ni Tivaouane ne détiennent l’exclusivité d’élire le Président de la république. Mais c’est bien tout le Sénégal qui est interpellé dans ses multiples composants socioreligieux pour désigner le Magistrat suprême.

Cependant, si Monsieur Bécaye Diop n’aura tenu ces propos que par intime conviction, ne devrait-on pas lui laisser l’entière responsabilité de sa foi comme chaque adepte de la plus "petite" famille religieuse croit en son for intérieur que c’est dans sa chapelle que se trouve la Vérité ("affaire bi foo fou la"). Cela ne prouve que la diversité de la foi et la Perfection Divine (Kamaloullahi Ta'ala).

Concernant Touba qui a son khalife général et son porte parole attitré, elle n’a point besoin de faire porter ses responsabilités à toute tierce personne. C’est pourquoi, les propos du ministre n'ont ni emballé ni titillé personne à Touba et dans la communauté mouride où de tels propos sont courants provenant des plus hautes personnalités de ce pays, d’Afrique et du Monde. Bien au contraire, ils sont comme à chaque fois été source d’embarras car pouvant provoquer des réactions qui heurtent leur humilité et susciter des écarts dans la Communauté islamique une et indivisible.

C’est dans ce sens que nous pensons que le "Collectif " qui a réagi en premier, tout comme tous ceux qui ont parlé, peuvent légitimement contester le propos de Mr DIOP car personne n’est obligé de partager une opinion, fut-il celui d’un ministre de la république. Si leurs foudres sont destinés à l’auteur de ces propos, il y a lieu d’éviter tout amalgame hâtif et politicien car Touba ne revendique pas une majorité politique et qu’aucune autorité religieuse de premier plan n’a jamais tenu pareille déclaration.

Mais en cherchant à impliquer toute la communauté dans ce débat religieusement puéril, ceux qui s’offusquent des propos tenus par le Ministre doivent savoir «Que Touba n’a point besoin d’avocat gouvernemental pour plaider sa cause ». Quelques exemples pourraient édifier tout un chacun sur les principes qui ont guidé jusqu’ici l’évolution historique du mouridisme.

En 1926, lorsque la construction de la mosquée de Diourbel fut achevée et qu'il obtint l'autorisation de construire la Grande Mosquée de Touba, Serigne Touba avait convoqué tous les talibés de l'époque pour collecter les fonds nécessaires à la construction de l'édifice. L'année suivante quand l'objectif fut atteint, il leur fit une confession-recommandation: "les autorités françaises m'ont proposé de m'aider dans la construction de la mosquée mais j'ai refusé. Jj'ai voulu vous enseigner à travers ceci (la collecte de fonds propres) qu’il faut toujours compter sur ses propres forces pour que la prochaine fois quoique vous pussiez entreprendre, vous le faites selon vos moyens. Astreignez vous à vos limites. En faisant cela, vous préserverez votre dignité et votre religion." Le proverbe wolof résume "kou eumb sa sanqal eumb sa kersa".

Depuis cette époque jusqu'à nos jours, essayons d’évaluer ce qu'a fait la communauté mouride pour développer Touba et ce que l'Etat à fait pour la Ville sainte.

Touba s’est la plupart du temps dotée d’infrastructures par la force de ses valeureux hommes. De la main d’œuvre pour l’acheminement des rails à Touba pour les besoins de l’édification de la grande mosquée, à la construction de l’hôpital Matlaboul Fawzaini, beaucoup d’autres réalisations peuvent être citées : canalisation et électrification du centre ville, route godronnée dite Taly Ndiouga Kébé, lieux entièrement construits et offerts à l’Etat pour abriter les casernes de gendarmerie ou de sapeurs pompiers, centres ou case de santé réalisés par les vertueux khalifes de Serigne Touba, les talibés d’ici et de la diaspora.

En 1995 le Président Diouf avait choisi Touba comme ville modèle au Sommet des Villes tenu à Istanbul en soulignant que l'organisation mouride est une structure exemplaire car les mouvements de la population vers Touba sans aménagement préalable, aurait pu créer d'énormes difficultés à l'Etat si la communauté mouride était restée les bras croisés.

Aussi, ce que la plupart du temps on passe sous silence, c’est que Touba est une somme de centaines de villages qui ont déplacé leur centre d’intérêt vers cette ville sainte, fuyant la sécheresses et la pauvreté rurale en se réfugiant dans une ville où la solidarité est sans pareille (on peut manger et dormir chez le chef religieux ou talibé de son choix).

Etant ce regroupement de villages, Touba permet ainsi aux autorités de se soustraire de nombreuses obligations vis-à-vis de ces populations. En effet, pour ces centaines de sites, il aurait pu créer des forages, dispensaires, des écoles etc. Or le nombre et la taille des infrastructures existantes dans la ville sainte est largement en deçà de ce qui devait être.

Par souci d’équité tout ce qui est fait pour Touba est fait ou annoncé dans d’autres villes saintes pour des configurations complètement différentes. Et cela ne nous indigne guère car nous pensons que partout où il y a des citoyens, musulmans et chefs de communautés religieuses de surcroît, notre sincère souhait est que toutes les commodités y soient répertoriées. Il n’est pas sûr que Touba, pourtant en avance sur le plan démographique et économique, n’est pas en recul par rapport à tout ce que l’Etat aurait dû y faire. Les réalisations actuelles tentent de les corriger et ce n’est que justice

Tout le monde peut constater que avant 2000 Touba possédait des canalisations, un hôpital construit par la seule diaspora mouride sans le sou de l’Etat, des routes autofinancées, électrification de Touba Mosquée, partiellement par le Khalife, adduction d'eau, assainissement et bien d'autres infrastructures dignes d'une ville moderne. Pourtant tout ceci est une mission qui devrait relever entièrement de l'Etat dont il ne s’est acquitté que partiellement..

Certes, l’Etat a fait des investissements à Touba, surtout dans le domaine de l’hydraulique et de l’électrification, mais force est de reconnaître que l’essentiel des réalisations à Touba est du fait des mourides eux mêmes. A titre d’exemple, tout le monde sait qu’une ville qui reçoit des millions de personnes chaque année ne peut se suffire d’un seul centre de santé. Ce qui explique que Touba a construit un hôpital par l’entremise du Dahira Matlabul Fawzayni réunissant les talibés de la diaspora.

En se questionnant sur la pertinence des supposés investissements de l’Etat à Touba, le "Collectif " semble ignorer que Touba fait partie du Sénégal. Cette cité est habitée par des citoyens sénégalais, y compris des talibés d’autres confréries qui y vivent et bénéficient de toute infrastructure qui y existe et qu’elle est maintenant la deuxième ville après Dakar en terme démographique.

Il est vrai que l’Etat ne peut pas tout faire dans les villes religieuses du pays mais il n’en demeure pas moins que c’est sa mission régalienne de doter toutes les villes et plus particulièrement celles qui reçoivent chaque année des millions de citoyens d’infrastructures fonctionnelles. Tout mouride, tidiane, khadr ou citoyen tout court, digne de ce nom devrait plutôt se féliciter des réalisations faites par les populations elles mêmes dans tous les coins du pays pour venir en appoint à un Etat sous développé. C’est donc un impératif républicain et l’intérêt national de voir tous ces villes et villages dotés d’infrastructures réalisés par l’Etat. En tout cas pour ce qui les concerne, les mourides continueront, comme par le passé, à investir dans Touba et globalement dans l’économie nationale, que l’Etat fasse ou non son devoir.

Si par malheur une épidémie se déclarait dans une de ces localités de convergence religieuse, aucun endroit dans le pays ne serait à l’abri. C’est ainsi que toute attaque qui vise à fragiliser une partie de la communauté doit faire dresser tous les hommes de foi comme un seul homme.

Les mourides, majoritaires ou non, là n’est pas la question. L’essentiel est qu’ils sont des patriotes qui participent activement au développement économique, social et culturel du pays.

Pour en revenir aux propos tenus par un non membre de la Communauté mouride (c’est important de le dire ainsi) et qui ont offusqué, nous pensons que tous ceux qui ont parlé, peuvent légitimement contester car personne n’est obligé de partager une opinion, fut-elle celui d’un ministre de la république. Mais il semble tout aussi évident que si les foudres d’un quelconque Collectif sont méritées, elles le sont plus par l’auteur de ces propos que par la Communauté qu’ils concernent et qui n’a rien revendiqué de cela.

Thierry Roland, célèbre reporter français disait pour se défendre après des propos jugés racistes qu’il était payé pour dire ce qu’il pense. Le Ministre n’est peut être pas payé pour cela, mais son opinion est sienne pas nôtre.

Il y a lieu d’éviter tout amalgame hâtif. Touba ne revendique pas une majorité et aucune autorité n’a jamais dit pareil. Hélas, et y a eu toujours plusieurs coups reçus du genre.

Un journal appartenant à quelqu’un connu comme étant proche d’une grande famille religieuse a eu à titrer tapageusement lors de la dernière Korité que « Touba sème la division » pour avoir célébrer la fête selon une logique pourtant constante à Touba. Nous pensons que cela est d’une extrême gravité et aurait pu déclencher des réactions violentes n’eût été la tolérance connue de la Hiérarchie Mouride. Ceci aurait dû offusquer tous les autres frères musulmans car toute attaque qui fragilise une partie de la communauté doit faire se dresser tous les autres comme un seul homme

Nous terminons par rappeler cette phrase de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké qui disait que "les confréries sont comme des frères issus d'une même mère mais de couleurs différentes, celui qui accuse son frère de sorcier à cause de leur différence de couleur n'est pas assez futé car il s'accuse lui même de sorcier" et cette phrase doit être présente dans l'esprit de tout taalibé digne de ce nom.

Juger les propos du Ministre comme « exagérés », est tout à fait un droit mais le ton et l’amalgame nous paraissent injustifiés venant de personnes qui devaient être les premiers à comprendre qu’aucune autorité politique n’a jamais réussi à semer la division entre les familles religieuses du Sénégal. Car depuis les temps coloniaux la hiérarchie de ces familles religieuses a su préserver les relations fraternelles qui doivent unir tous les musulmans.

Cheikh Fatma Mbacke fils de Serigne Moustapha Bassirou Mbacke, Ingénieur Informaticien.
Khadim Diop petit - fils de Serigne Bassirou Mbacke , financier banquier
Cheikh Ahmadou Mbacke fils de serigne Modou Bousso Dieng Mbacke, Directeur de société
Mouhamadou Moustapha Mbacke fils de Serigne Cheikh Astou Fall Bassirou Mbacke journaliste - Communicateur