Culture et Histoire

Serigne Touba MBACKE
Les autorités coloniales n'en étaient pas pour autant débarrassées des résistants religieux. Les abus du système colonial et le non-respect des principes laïcs pourtant nés de la Révolution française, ont jeté une grande partie des masses sénégalaises dans la religion du Mouridisme. Son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba, sera l'un des derniers grands résistants africains du XXème siècle. Cet homme exceptionnel posera bien des problèmes aux autorités coloniales à double titre. D'abord parce que le Mouridisme, religion d'inspiration islamique, obtenait l'adhésion de millions de fidèles, notamment les masses paysannes sénégalaises qui contrôlaient la culture de l'arachide, énorme source de profit pour les colons. Ensuite, le Cheikh Ahmadou Bamba dont l'anticolonialisme était indiscutable n'était pas un adversaire classique que l'on peut combattre par les armes. Longtemps avant le Mahatma Gandhi et le Dr King, cet homme saint avait décidé d'opposer une forme de lutte originale à l'occupation coloniale : la non-violence par la résistance spirituelle. Face au système colonial avec tout ce qu'il comportait de ruse, de subterfuge, de moyens de liquidation systématique et d'entreprise de déculturation, il opposera une foi religieuse sans faille et un combat intelligent et sans armes. Cheikh Ahmadou Bamba était avant tout un mystique, détaché des choses matérielles et incorruptible. Le projet de société du résistant religieux reposait sur la fraternité et l'entraide sociale à l'exclusion de tout rapport de force ou de contrainte. Le marabout sénégalais incitait également ses fidèles à se tourner vers Dieu dans un travail sanctificateur, pour mieux dépasser les valeurs matérialistes du monde.



Cheikh Ahmadou Bamba


La grande Mosquée de TOUBA
L'autorité coloniale le soupçonnait de préparer les masses sénégalaises à la guerre sainte. C’est ainsi que le Cheikh fut mis sous très haute surveillance. Mais les nombreuses descentes et les fouilles, ne révélèrent jamais la présence d'une quelconque arme. Ses seules armes disait Cheikh Ahmadou Bamba, étaient la foi en Dieu, en l'homme libre et à la préservation de la vie humaine. Le marabout sénégalais contestait à toute autorité de pouvoir disposer de la vie d'un être, ceci n'étant que le privilège du tout-puissant. Ignorance, disait-il, ne peut être plus grande que le fait de haïr un homme parce qu'il a été créé Noir, Blanc ou Jaune et qui peut également par réaction rejeter tout autre que lui sur les mêmes bases aussi absurdes. Et le Cheikh d'ajouter que : ignorance ne peut également être plus grande que de quitter sa maison et d'aller envahir celle d'un autre pour l'exproprier et lui imposer sa loi. Bien qu'avec le saint homme il faille lire entre les lignes - il se savait épié par les espions du gouverneur -, son message ne pouvait être plus anticolonialiste. Le gouverneur comprit très vite sans pouvoir réagir face à un homme qui refusait le type de combat souhaité par l'adversaire, notamment tout acte pouvant passer pour trouble de l'ordre public. Ceci aurait constitué un prétexte pour une répression dont les troupes coloniales avaient le secret. Le Mouridisme, bien que d'inspiration islamique, était la première vraie grande religion négro-africaine. Elle contenait dans son essence même, un anticolonialisme spirituel et militant, impossible à combattre matériellement. La philosophie de ce saint homme était un renouveau islamique et vivificateur de l'identité négro-africaine qui devenait aux yeux du gouverneur, un nouveau type de défi plus dangereux que celui lancé par Lat Dior, Alboury N'Diaye et Elhadji Omar qui furent combattus par les armes. C'est ainsi que le gouverneur de l'AOF (Afrique occidentale française), décida de faire arrêter arbitrairement le Cheikh Ahmadou Bamba, pour trouble de l'ordre public, à Djewel en 1895. Le marabout sénégalais sera déporté sur une île du Gabon pendant une période de huit ans. Mais au retour, sa foi restait intacte et ses adeptes plus nombreux. L'autorité coloniale le placera encore en résidence surveillée jusqu'à sa mort en 1927. Cheikh Ahmadou Bamba ira au bout de sa philosophie en écrivant : Je pardonne à tous mes ennemis pour la face de celui qui les a éloignés de mon voisinage. Le Mouridisme reste la seule grande religion négro-africaine qui compte des millions d'adeptes et dont les lieux saints se trouvent à Touba (Sénégal).

Source : « MEMOIRE D’ERRANCE » Par Tidiane N’Diaye